Le médecin de 53 ans vient de prendre ses fonctions à la tête du CDC Africa, malgré les tensions que sa nomination a suscitées entre le Rwanda et la RDC.
« Je suis le premier directeur général de CDC Africa élu par les chefs d’Etat africains. » Il y a de la fierté chez Jean Kaseya et c’est incontestablement une victoire diplomatique pour la République démocratique du Congo (RDC), qui s’est mobilisée pour mener campagne derrière son champion dans la course pour prendre la tête de l’agence de santé continentale.
L’homme, fraîchement débarqué à Addis-Abeba, a officiellement pris ses fonctions comme patron des Centres africains pour la surveillance et la prévention des maladies lundi 17 avril. « J’espère que c’est un tournant pour notre pays qui, malgré sa taille [le deuxième du continent en superficie et le quatrième en population] et les enjeux qu’il traverse, est très sous-représenté dans toutes les instances internationales », juge le nouveau patron de la santé africaine.
Un succès salué par le président congolais Félix Tshisekedi au lendemain de son élection, fin février, et aussitôt contestée par le Rwandais Paul Kagame dans une lettre adressée début mars au président de l’Union africaine (UA), le Comorien Azali Assoumani. Mais la tentative du président rwandais d’exporter les tensions qui opposent les deux pays sur le front de l’Est congolais en attaquant la légitimité de cet ancien ministre de Laurent-Désiré Kabila a échoué.
Car c’est au terme d’un long processus de sélection parmi 180 candidats que le médecin, tout juste 53 ans, l’a emporté face au directeur par intérim du CDC Afrique, le Kényan Ahmed Ogwell Ouma, et à la Bissau-Guinéeenne Magda Robalo Correia E Silva pour prendre la succession du charismatique Camerounais John Nkengasong, qui avait été nommé à la création de l’institution en 2016.
« Premier réflexe santé des Africains »
Cette élection, une première donc, est un symbole pour cette jeune institution panafricaine appelée à prendre davantage d’essor en consolidant les stratégies conjointes des Etats africains. Les chantiers sont immenses à l’heure où le continent traverse une crise économique, sociale et sanitaire sans précédent depuis trente ans. Famines, épidémies de toutes sortes, paludisme, retards de vaccination, paupérisation, inflation et sous-investissement chronique des Etats dans le secteur de la santé, mais aussi baisse historique de l’aide public au développement des pays du Nord, selon les derniers chiffres de l’OCDE publié jeudi 13 avril.
Le premier dossier dont veut s’emparer le nouveau locataire du CDC, c’est de développer l’autonomie financière de l’agence et qu’elle devienne une référence pour tous les Africains. « Nous sommes encore trop peu connus sur le continent, expliquait-il fin février sur l’antenne de Radio Top Congo dans un long entretien. Même si la crise du Covid et la gestion par le “Docteur John” l’ont mis dans la lumière. Je veux que le premier réflexe santé des Africains en cas de crise sanitaire soit d’aller chercher les informations auprès du CDC, comme c’est le cas aux Etats-Unis. »
En proposant dans son programme de candidat d’instaurer une taxe sur les billets d’avion du trafic aérien panafricain, qui pourrait « sécuriser » selon lui chaque année « jusqu’à 300 millions de dollars », des mécanismes de financement « innovants » qui sollicitent les communautés elles-mêmes, Jean Kaseya espère rendre davantage acteurs de leur propre santé les Africains tout en limitant les effets négatifs de budgets nationaux trop « modestes et fluctuants ».
En encourageant les financements mixtes publics privés, le médecin veut aussi bâtir des « stratégies avec tous les partenaires qui veulent investir dans la santé en Afrique » et « sortir le continent de la dépendance, d’une position de demandeur ». Les ratés du mécanisme d’entraide internationale Covax en pleine pandémie de Covid-19 et l’épisode des vaccins commandés à l’Inde, jamais livrés pour cause de déferlement de la vague Omicron en janvier 2022, ont été de véritables traumatismes pour les dirigeants africains.
Phase de croissance
Une pandémie de Covid qui a toutefois imposé l’institution panafricaine comme un acteur central de coordination des ripostes nationales. « Les épidémies circulent, elles ne se cantonnent pas à un seul pays, il est donc de notre responsabilité de s’assurer que les communautés aient accès aux informations à travers tous les mécanismes que nous mettons en place. »
C’est d’ailleurs après la grave crise Ebola qui avait frappé plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2014 que le CDC Africa avait été créé. Entrée dans une phase de croissance, l’agence de santé doit s’imposer comme l’organe incontournable dont doivent se saisir les Etats pour construire davantage de cohérence et porter des ambitions continentales au-delà des crises exceptionnelles : consolider la surveillance épidémiologique, développer la collecte et l’analyse de données fiables, pousser le projet de fabrication de vaccins sur le continent, déployer la couverture santé universelle.La Banque mondiale a d’ailleurs annoncé en juillet 2022 un financement exceptionnel de 100 millions de dollars (91,2 millions d’euros) à l’agence de santé pour renforcer son cadre institutionnel et ses capacités techniques.Pour accomplir cette feuille de route bien fournie, la diversité de la carrière du médecin congolais, qui s’est spécialisé en France en santé publique après avoir fait ses classes à la tête de l’hôpital rural de Kahemba dans le sud-ouest de la RDC et de l’hôpital de Kinshasa à la fin des années 1990, sera déterminante.De l’agence d’aide au développement américaine USAID au Fonds mondial, en passant par le bureau d’Atlanta du CDC américain, l’Unicef, l’Organisation mondiale de la santé, la Fondation Clinton, l’Alliance du vaccin GAVI, la Fondation Gates (partenaire du Monde Afrique), Jean Kaseya s’est investi dans le déploiement de plusieurs plans de lutte contre la poliomyélite, la méningite, le VIH, la tuberculose ou le paludisme en RDC, en Angola, en Côte d’Ivoire, au Congo-Brazzaville et en Namibie.